Il est important de mentionner que vous n’aurez pas de réponse définitive dans cet article, car plusieurs questions fondamentales sur la nature même du sport électronique sont encore en cours de débats.
Dans un podcast dédié aux aspects scientifiques du sport électronique, The Esports Research Report (2020), les animateurs, Brian McCauley et Steph Orme, ont souvent débuté leurs entrevues en demandant aux différents chercheurs d’expliquer leur définition de « sport électronique ». Or, il y eut une très grande variété de réponses. Plusieurs diront qu’il s’agit tout simplement de jeux vidéo joués de manière compétitive, d’autres mettront de l’avant certains aspects des sports (e.g. institutionnalisation, circuit professionnel, entraînement, etc.), et certains mettent plutôt l’accent sur le phénomène social transcendant le simple fait de jouer compétitivement à des jeux vidéo.
Le terme sport
L’emploi du terme « sport » pour désigner des compétitions de jeux vidéo est un sujet controversé, et qui peut parfois mener à des échanges passionnés sur Internet (Tjønndal, 2020). L’une des problématiques initiales que nous devons surmonter pour savoir si les termes « sport électronique » sont appropriés provient du fait que la définition même terme sport est ambigüe et qu’elle va varier selon les époques et les cultures (Besombes, 2016; Kane et Spradley, 2017). Ayant grandi dans un milieu sportif, je peux anecdotiquement mentionner qu’il existe même des préjugés entre les différents types de disciplines sportives (e.g. hockey et curling ou water-polo et plongeon).
Dans cet article, prenons la définition du terme sport proposée par l’Office québécoise de la langue française (2015) : « Activité physique exercée individuellement ou collectivement sous une forme particulière, qui requiert un apprentissage d’habiletés techniques, un équipement et des installations spécifiques, et qui est régie par une ou plusieurs organisations ».
Ils existent de nombreuses études évaluant les impacts positifs et négatifs des jeux vidéo sur le corps humain, autant physique que mental (e.g. Modesti, Pela, Cecioni, Gensini, Serneri, & Bartolozzi, 1994; Westecott, 2008; Green, & Bavelier 2006; Dye, Green, & Bavelier.,2009; Granic, Lobel & Engels, 2013; West, Konishi, Diarra, Benady-Chorney, Drisdelle, Dahmani, Sodums, Lepore,, Jolicoeur, & Bohbot, 2017). Dans la grande majorité des disciplines de sports électroniques, tel que le mentionne Nicolas Besombes (2018), la performance motrice des compétiteurs est l’un facteur qui détermine qui remportera la victoire. Bien que je n’aime pas faire des comparaisons, le tir olympique, où le temps de réaction, la précision et la coordination œil-main sont essentiels, serait la discipline sportive reconnue aux Olympiques qui se rapprocherait le plus du sport électronique en termes de besoin en performance motrice et en dépense énergétique.
Selon mes observations et mes lectures, le besoin en tant que tel d’un équipement et des installations spécifiques dans la définition de sport n’est pas vraiment un élément qui est débattu. Les points que l’athlète est généralement assis (sédentarité) et qu’il utilise une manette ou un clavier/souris sont généralement mentionnés, non pas au niveau de l’équipement et des installations en tant que telles, mais plutôt au niveau de l’activité physique discutée précédemment.
Au niveau des organisations qui régissent le sport électronique, nous atteignons un nouveau niveau de complexité. En effet, les jeux vidéo sont la propriété intellectuelle des studios de jeux vidéo. Selon certaines critiques (e.g. Dyer-Witheford, & Peuter, 2009 et Comité international olympique, 2018), le secteur de jeux vidéo est propulsé d’abord par les intérêts commerciaux des compagnies. Des conflits risquent de survenir entre les studios et les organisations qui essaient actuellement de s’implémenter comme régie (Jenny, Manning, Keiper, & Olrich, 2016). La situation est différente comparativement à la majorité des sports traditionnels. Par exemple, le Comité international olympique ne peut pas s’autoproclamer autorité suprême des sports électroniques, comme il l’a fait avec le Mouvement olympique en 1864 (Gillon, 2011).
Mettre une limite?
Comme nous l’avons mentionné précédemment, plusieurs chercheurs, ainsi que des auteurs (e.g. Collis, 2020), mentionnent que n’importe quel jeu vidéo joué compétitivement peut être considéré comme du sport électronique.
L’Office québécois de la langue française (2009) a proposé cette définition pour l’expression sport électronique : « Pratique régulière d’un jeu vidéo multijoueur, sur Internet ou en réseau local, par l’intermédiaire d’un ordinateur ou d’une console de jeu, qui est considérée comme une activité sportive ». Ici, le terme multijoueur peut créer de la confusion, car même les jeux à un seul joueur peuvent être utilisés en speedrun, qui est un type de compétition où les participants tentent de finir un jeu le plus rapidement possible.
Dans un article visant à définir le cadre scientifique de la psychologie du sport électronique, Pedraza-Ramirez, Musculus, Raab et Laborde (2020) donneront cette grande définition :
« Le sport électronique est l’activité compétitive, occasionnelle ou organisée, consistant à jouer à des jeux vidéo spécifiques qui offrent un développement professionnel et/ou personnel au joueur. Cette pratique est facilitée par des systèmes électroniques, qu’il s’agisse d’ordinateurs, de consoles, de tablettes ou de téléphones portables, sur lesquels des équipes et des joueurs individuels s’entraînent et s’affrontent en ligne et/ou dans des tournois en réseau local, au niveau professionnel ou amateur. Les jeux sont établis par des systèmes de classement et des compétitions, et sont réglementés par des ligues officielles. Cette structure donne aux joueurs le sentiment de faire partie d’une communauté et facilite la maîtrise de la coordination motrice fine et des compétences perceptivo-cognitives, en particulier, mais pas exclusivement, à des niveaux de performance plus élevés. »
Ils ajoutent ensuite une remarque : « Ainsi, selon notre définition, tout jeu vidéo n’est pas un jeu esport, mais tout jeu esport est un jeu vidéo. Des jeux vidéo tels que Super Mario Bros, Les Sims ou Grand Theft Auto peuvent être joués de manière décontractée, et dans certains cas, il existe des tournois organisés. Mais ces types de jeux n’ont pas de système de classement, ni de compétitions réglementées par des ligues officielles.» (trad. de Pedraza-Ramirez et al., 2020). Les nuances apportées par leur définition sont intéressantes, car elle mentionne que ce n’est pas tous les jeux vidéo qui sont automatiquement du sport électronique. Cependant, avec assez d’efforts et de personnes passionnés, nous croyons que tous les jeux vidéo ont un certain potentiel de pouvoir être considérés comme du sport électronique. Bien sûr, notre dernier énoncé fait abstraction de la critique qui cherche à savoir si tous les jeux ont réellement un niveau suffisant d’activité physique pour être considérés comme un sport. Par exemple, Hearthstone est comparable aux échecs dans le sens où le joueur pourrait théoriquement passer toute la partie à exprimer vocalement les actions à faire, et quelqu’un (humain ou machine) pourrait les faire à sa place. Or, la reconnaissance des échecs comme un sport ou non est un tout autre débat en soi.
En résumé
Bien que le débat sur l’aspect sportif du sport électronique soit encore en cours, et qu’il existe des réponses plus complètes, nous proposerons tout simplement que le sport électronique est l’ensemble des disciplines sportives qui utilisent les jeux vidéo comme élément central à leur compétition.
Bibliographie
- Collis, W. (2020). The Book of Esports, RosettaBook, 194 pages.
- Besombes, N. (2016). Les jeux vidéo compétitifs au prisme des jeux sportifs : du sport au sport électronique. Sciences du jeu, (5).
- Besombes, N. (2018). Sport et e-sport. Une comparaison récurrente à déconstruire. Jurisport, 185, 19-23.
- Comité international olympique (2018). Communiqué du Sommet olympique, article en ligne : https://www.olympic.org/fr/news/communique-du-sommet-olympique-1 (mis en ligne le 8 décembre 2018, consulté le 23 octobre 2021)
- Dye, M. W., Green, C. S., & Bavelier, D. (2009). Increasing Speed of Processing With Action Video Games. Current directions in psychological science, 18(6), 321–326.
- Dyer-Witheford, Nick & Peuter, Greig. (2009). Games of Empire: Global Capitalism and Video Games.
- Gillon, P. (2011). Une lecture géopolitique du système olympique, Annales de géographie, 4(4), p. 425-448.
- Granic, I., Lobel, A. & Engels, R. (2013). The benefits of playing video games. American Psychologist, 69(1), p. 66-78.
- Green, C. & Bavelier, D. (2006). The Cognitive Neuroscience of Video Games. Digital Media: Transformations in Human Communication.
- Jenny, S. E., Manning, R. D., Keiper, M. C., & Olrich, T. W. (2016). Virtual(ly) Athletes: Where eSports fit Within the Definition of ‘Sport’. Quest, 69(1), 1-18.
- Kane, D., & Spradley, B. D. (2017). Recognizing Esports as a Sport. The Sport Journal, published online 11 May.
- Modesti PA, Pela I, Cecioni I, Gensini GF, Serneri GG, & Bartolozzi G. (1994). Changes in blood pressure reactivity and 24-hour blood pressure profile occurring at puberty. Angiology. 1994 Jun;45(6):443-50.
- Office québécois de la langue française (2009) Fiche terminologique : sport électronique. http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26502177 (consulté le 23 octobre 2021)
- Office québécois de la langue française (2015) Fiche terminologique : sport. http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheoqlf.aspx?id_fiche=8869772 (consulté le 23 octobre 2021)
- Pedraza-Ramirez, I., Musculus, L., Raab, M., & Laborde, S. (2020). Setting the scientific stage for esports psychology: A systematic review. International Review of Sport and Exercise Psychology, 13(1), 319–352.
- The Esports Research Report (2020) https://esportsresearch.net/podcast-page/
- Tjønndal, A. (2020). “What’s Next? Calling Beer-Drinking a Sport?!”: Virtual Resistance to Considering eSport as Sport. Sport, Business and Management, published online before print
- West, G., Konishi, K., Diarra, M., Benady-Chorney, J.,Drisdelle, B. L., Dahmani, L., Sodums, D. , Lepore, F., Jolicoeur, P. et Bohbot, V. (2017). Impact of video games on plasticity of the hippocampus. Molecular Psychiatry. 23. 10.1038/mp.2017.155.
- Westecott, E. (2008). Putting the Body back into Play. the [player] conference Proceedings.