Si j’avais à réduire mon séjour en Suisse en un mot, je choisirais « stimulant ».
Avant de vous présenter certaines réflexions que j’ai eues, j’aimerais tout d’abord remercier le Centre du jeu excessif du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et de l’Institut Santé et société de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) pour le soutien financier qui m’a permis de faire ce déplacement professionnel. En effet, comme vous le verrez dans cet article, ce fut loin d’être des vacances.
Merci spécial à Mélina Andronicos pour l’invitation et pour m’avoir aidé à coordonner le tout.
Symposium
Tout d’abord, l’une des principales raisons de ce déplacement était de participer au symposium international multidisciplinaire « prévenir et traiter le jeu excessif dans un monde digitalisé » ayant lieu à Caux (Suisse). Événement de trois jours remplis du matin jusqu’au soir, j’ai eu l’opportunité d’échanger avec une multitude d’experts de renom international traitant de dépendance comportementale, incluant le trouble du jeu vidéo. Ses discussions et ses activités m’ont fait énormément réfléchir sur des enjeux et des angles d’approches qu’ils seraient pertinents de développer non seulement dans le cadre de mon doctorat interdisciplinaire en santé et société à l’UQAM où je m’intéresse à l’encadrement de la pratique vidéoludique compétitive, mais aussi dans l’optique des divers programmes de la Fondation des Gardiens virtuels (FGV).

Mention spéciale à l’énorme délégation québécoise qui était présente au symposium, et dont une petite partie est présente dans cette photo. Disons qu’il a eu des moments divertissants. (Photo : Nadine Blanchette-Martin)
Un élément qui m’a agréablement surpris lors du symposium, c’est de constater à quel point la FGV et nos différents programmes, notamment celui des Travailleurs de rue numériques (TRN), sont suivis à travers le monde. Je me suis fait apostropher à plusieurs reprises par des gens me demandant si j’étais François Savard des Gardiens virtuels. C’est ainsi que j’ai appris qu’il existait des projets similaires aux nôtres, dont certains que nous avons directement influencés! Nous nous sommes promis de rester en contact, et nous avons déjà prévu de faire une rencontre virtuelle dans un avenir proche. Ceci est très excitant, et cela tombe à point avec ce que la FGV prépare patiemment dans les coulisses depuis plusieurs années.
Collaboration avec le Centre du jeu excessif
Mélina Andronicos et son équipe du Centre du jeu excessif (CHUV) ont mis en place plusieurs projets intéressants en lien avec la prévention des écrans. L’un des ceux-ci est représenté par un petit renard nommé Billie Screen. Cette mascotte est présente dans divers lieux de jeux pour discuter écrans avec les jeunes. Lors d’un événement de la Fédération Internationale de Basketball (FIBA) à Mies (Suisse), j’ai eu l’occasion d’observer le déploiement de cette activité de prévention, et aussi de poser plusieurs questions à l’équipe. Bien que j’avais préalablement eu beaucoup d’informations sur ce programme, cette activité m’a permis de prendre connaissance des pratiques de prévention en Suisse, puis de faire quelques commentaires à l’équipe.

Dans cette même optique, j’ai été expert-invité dans le cadre d’un programme de formation sentinelle dédié aux jeunes (Billie Screen) à La Tour-de-Peilz (Suisse). Plus spécifiquement, il s’agissait d’une activité de co-création où nous avons eu expérimenté une première version d’une formation destinée à des intervenants jeunesse, et où nous étions invités à interagir. Je suis bien heureux d’y avoir été énormément sollicité et d’avoir pu contribuer au développement de cette facette du programme de prévention.

Dans le cadre de cette collaboration, j’ai aussi donné un atelier de formation d’une journée dans les locaux de Centre du jeu excessif à Lausanne (Suisse). Nous avons discuté de sports électroniques, de communauté de jeux vidéo, et d’un ensemble de sujets similaires. Je peux vous dire que la journée a passé beaucoup trop vite. J’ai beaucoup aimé les questions de l’équipe de prévention des écrans parce qu’elles étaient souvent très spécifiques; ce qui me permettait de pousser mes réponses avec un degré d’analyse plus élevé que lorsque je donne des conférences où je dois extrêmement vulgariser mes propos.
Musée du jeu Suisse
Dans le cadre du symposium mentionné ci-haut, il y avait une journée d’activités précongrès au Musée du jeu Suisse à La Tour-de-Peilz (Suisse). J’y ai animé deux activités. La première était une conférence de 1h15 nommée « Comment développer son « Safe world » dans le contexte de nos pratiques numériques ? ». Le défi avec cette conférence est qu’il m’était impossible de prédire qui serait dans la salle. En effet, même s’il s’agissait d’un événement fait en marge d’un colloque scientifique, il était ouvert au grand public. De plus, à cause de la nature des activités, il y aurait des gens adeptes de jeux vidéo et de jeux de rôles, mais aussi certains qui sont uniquement curieux. Je devais donc faire attention à bien calibrer mon vocabulaire et planifier plusieurs façons d’exprimer mon message. Selon les commentaires que j’ai reçus, je crois avoir bien réussi mon défi.

Ensuite, j’ai été maître de jeu de 20h30 à environ 23h00 où j’ai animé une session d’introduction à Donjons et Dragons que j’avais préalablement planifiée. Le défi ici fut de jouer avec des feuilles de personnages et de connaître les noms des habiletés en français. Au Québec, même si nous discutons en français, nous jouons tous avec les règles américaines en anglais et surtout en pied. Demander aux joueurs de rouler un jet de « perspicacité » au lieu de « insight » ou de « escamotage » au lieu de « sleight of hand » n’était pas intuitif dans le feu de l’action. Je suis immensément fier de pouvoir dire que j’ai officiellement été maître de jeu sur deux continents!
D’ailleurs, la journée fut tellement remplie que je n’ai pas eu l’occasion de visiter le musée! Un gros merci à Selim Krichane de m’avoir permis de revenir le lendemain matin pour visiter les expositions. Si vous êtes dans la région, elles valent le détour!
Visite des établissements ludiques
Vous me connaissez, je suis un expert dans le domaine des jeux vidéo, mais pas dans le même sens que beaucoup de mes collègues des Études du jeu. En effet, je m’intéresse moins à l’objet du jeu vidéo en tant que tel (e.g. développement, programmation, histoire du média, etc.), mais beaucoup plus à ce que les joueurs en font (e.g. regroupements de joueurs, communautés, tournois, etc.). Ceci inclut évidemment les lieux de rassemblement! Ainsi, j’ai profité de cette opportunité pour explorer l’écosystème ludique des villes où j’étais de passage, que cela soit en Suisse, ou même lors de mon escale de 10 heures à Nice (France).
Dans cette expérience ethnographique très exploratoire, il y a un thème qui est revenu dans l’ensemble des lieux où j’ai eu le temps de m’asseoir et de prendre une consommation; celui de la précarité. Que cela soit avec moi directement ou lors de discussions entre staff ou avec des réguliers, le sujet qui revenait continuellement était le fait que les temps étaient plus difficiles qu’à l’habitude. Certaines places essayaient d’attirer une nouvelle clientèle en proposant de nouvelles activités, d’autres regardaient les options de déménager dans d’autres locaux, et il y a même eu un cas où l’option de tout simplement fermé a été évoquée. Ce qui est marquant, c’est que ce sont les mêmes discussions que j’entends ici au Québec depuis une dizaine d’années.
Sur une note plus joyeuse, je dois dire que j’ai adoré pouvoir visiter la grande majorité de la dizaine de lieux que j’avais identifiés. Plusieurs d’entre elles avaient même des éléments intéressants que j’aimerais bien importer au Québec. Voici mes deux coups de cœur.
Le premier est le Qwertz à Lausanne (Suisse). J’ai tellement aimé le lieu qu’à ma dernière soirée en Suisse, même si je dormais à Genève (Suisse), j’ai décidé d’y faire un détour. Il s’agit d’un bar esports qui existe depuis 2013, et je peux vous dire que je m’y sentais comme à la maison. Le staff était super sympathique, puis l’ambiance est ultra « grassroot », « underground » et authentique. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu du Starcraft sûr une télévision dans un bar. Le sous-sol me rappelle d’ailleurs le MVA qui était dans Hochelaga à Montréal, mais en version bar.

La superbe équipe du Qwertz : Nicolas Giller, Eva et Mégane
Le deuxième est le ALT+F4 à Nice (France). Tout d’abord, la configuration de la salle ressemble énormément à ce que nous (Boreal Gaming) avions fait avec un architecte en 2013 lorsque nous cherchions à ouvrir notre propre établissement. Dans un contexte de guildes, de clans, d’équipes, de clubs étudiants ou de tous autres types de regroupement privés ayant un fort sentiment d’appartenance, c’est l’emplacement rêvé. Il y a suffisamment d’ordinateurs pour organiser des pratiques ou jouer des matchs entre deux équipes. Il y a de l’espace pour organiser des « viewing parties ». Il y a même un grand bar qui vend de l’alcool et de la nourriture. Malheureusement, dans un autre contexte que celui-ci, donc pour quelque chose axé sur le grand public, c’est extrêmement difficile à rentabiliser. La fermeture récente de l’un des derniers lieux similaires au Québec, le Gam1ng Café, en est un exemple.
Diverses rencontres
J’aimerais compléter cet article avec deux remerciements.
Merci à Joël Billieux et Yasser Khazaal pour la soirée fondue. Accompagnés de Daniel King et d’Ilkka Vuorinen, ce fut un immense plaisir de pouvoir en apprendre plus sur la culture culinaire suisse et d’avoir autant de conversations intéressantes sur une multitude de sujets. Ce fut véritablement un privilège!
Merci à Jonathan Jubin pour le dîner à Lausanne. Bien que nous n’ayons pas eu le financement pour un partenariat de recherches entre l’Université du Québec à Trois-Rivières et l’Institut et Haute École de la Santé La Source, ce n’est que partie remise. Au plaisir de collaborer avec toi dans la création de ressources pour bien encadrer les jeux vidéo.