Le 29 mai dernier, la Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes a déposé son rapport final (Assemblée nationale du Québec, 2025).
À titre de rappel, j’ai moi-même été invité à y témoigner au nom de la Fondation des Gardiens virtuels. La vidéo est disponible ci-bas.
Dans le cadre de cet article, j’aimerais mettre l’emphase sur le contenu du rapport traitant des sports électroniques, et analyser les différentes recommandations.
Composé de 6 pages (50 à 56) sur 165, le sport électronique a été traité dans la section « Les écrans à l’école » (p. 30), et non dans la section « Jeux vidéo » (p. 83). Ceci démontre premièrement que la commission a axé son analyse du phénomène des esports sur les programmes existants dans les écoles. De plus, comme il est possible de le constater dans la citation suivante, elle fait une claire distinction entre le fait de jouer à des jeux vidéo de manières récréatives et de pratiquer le sport électronique : « Le sport électronique se distingue de la pratique ludique des jeux vidéo par son aspect compétitif et le temps alloué à l’entraînement et au développement de stratégies de jeu ».
L’introduction et la présentation des divers enjeux positifs et négatifs sont intéressantes, et extrêmement similaires à ce que j’ai moi-même écrit dans mon mémoire (Savard, 2025). Un point qui me fait sourciller et que j’aimerais plus de clarification est celui en lien au temps de jeu chez les adeptes de esports. Il est mentionné que « l’hypothèse selon laquelle les programmes de sport électronique ont pour effet de remplacer la pratique des jeux vidéo à la maison » est infirmée par des études d’Antoine Lemay et de Magali Dufour. Ce constat se base sur le fait que leurs études démontrent que les participants des programmes esportifs jouent plus que leurs collègues qui ne font pas partie des concentrations, et que la « pratique du sport électronique s’ajoute à l’ensemble des loisirs réalisés ». Or, il est faux de dire que ces deux informations viennent infirmer que les programmes ne remplacent pas le temps de jeu à la maison dans le contexte où les personnes intéressées par ce type de programme sont celles à risque de surconsommation par la nature même de leurs intérêts.
En effet, le constat que les adeptes de jeux vidéo dans les programmes jouent plus que ceux en dehors des programmes est totalement normal, et présent dans littéralement toutes les concentrations. Lorsque j’étais en sport-études water-polo, j’avais plus de temps de piscine que la majorité des joueurs ne faisant pas partie de ce type de programme. Même chose pour mes collègues en danse ou en art. Il ne faut pas oublier que les jeunes dans ce type de concentration sont des passionnés de leurs disciplines, et qu’ils vont vouloir de facto mettre un maximum d’heures pour se développer. Or, ce qui est important ici n’est pas de savoir s’il joue plus ou moins que les personnes en dehors des programmes, mais bien de savoir s’ils jouent plus ou moins comparés à avant qu’ils ne rejoignent ce type de programme. La nuance est primordiale. Selon des entretiens qualitatifs que j’ai fait à travers les années avec des joueurs et leurs parents, le commentaire qui est soulevant soulevé est que le jeune joue MOINS chez lui comparé à lui-même. Je n’ai jamais entendu un programme vanter que leurs programmes remplacent à 100% le temps de jeu à la maison. N’importe qui qui sait moindrement de quoi il parle sait que ce n’est pas vrai.
Il y a aussi certaines nuances que j’apporterais sur certains énoncés. Par exemple, des raccourcis sont faits sur certains enjeux de santé mentale de ceux pratiquant le sport électronique, alors qu’en fait, ce sont des enjeux qui sont omniprésents chez les jeunes de manière générale. De plus, le trouble du jeu vidéo ne fait pas consensus dans la communauté scientifique (e.g. van Rooji et al., 2018).
Voici les quatre recommandations de la commission, ainsi que mes commentaires :
Recommandation 32
La Commission recommande que les intervenants scolaires des programmes de sport électronique soient outillés afin de détecter les problèmes de santé des jeunes, dont la cyberdépendance. Ils devraient également être outillés sur les manières de faciliter la discussion sur les jeux vidéo, notamment concernant les aspects addictogènes qui peuvent s’y retrouver.
Je dois vous avouer que cette recommandation est ma préférée de celles présentées dans cet article, et que j’aurais même été plus loin. Dans un monde idéal, toute personne voulant encadrer un jeune dans un programme esportif devrait au minimum suivre la formation d’entraîneur de la Fédération québécoise de sports électroniques (FQSE). Pour en donner une version adaptée dans le cours « implémentation de programme de sports électroniques » dans le microprogramme de sports électroniques à l’Université du Québec à Trois-Rivières (2025), je peux garantir qu’il s’agit d’un ‘’must’’ à avoir. Ensuite, il aurait été surprenant que je sois contre des formations sur les enjeux du numérique, considérant que c’est quelque chose que j’ai énormément poussé comme moyen de prévention au sein même de la Fondation des Gardiens virtuels.
Recommandation 33
La Commission recommande que les établissements scolaires renforcent l’encadrement des programmes de sport électronique chez les jeunes, afin de s’assurer qu’ils se déroulent dans un environnement sain, sécuritaire et équilibré. La Commission recommande aussi de définir des objectifs pédagogiques clairs pour ces programmes, notamment le développement de compétences comme la communication, l’esprit d’équipe et l’autorégulation.
Je suis d’accord avec cette recommandation sur plusieurs niveaux. Tel qu’il était aussi ressorti dans mon mémoire (Savard, 2025), il existe de grands enjeux de standardisation dans le milieu des compétitions vidéoludiques, que cela soit dans les écoles, ou encore dans le public. Pour ce qui est des programmes dans les écoles, il existe plusieurs solutions clé en main que le gouvernement pourrait faire. Premièrement, reconnaître la Fédération québécoise de sports électroniques (FQSE) comme régie sportive ou de loisirs permettrait d’avoir un chien de garde indépendant de l’industrie qui pourrait facilement mettre en place un système d’accréditation qui assurerait le développement sain de cette discipline. Tel qu’il est identifié à quelques reprises dans le rapport de la commission, la FQSE est transparente sur les enjeux liés aux jeux vidéo. Ensuite, une autre solution complémentaire, et encore plus facilement réalisable, est d’abroger l’interdiction aux écoles d’investir dans les sports électroniques dans le cadre de la mesure 15028 (Ministère de l’Éducation, 2024). Il s’agit d’un obstacle majeur pour les écoles qui voudront justement suivre cette recommandation ultra importante.
Recommandation 34
La Commission recommande que les programmes de sport électronique en milieu scolaire intègrent des mesures de prévention et de sensibilisation aux enjeux liés à l’augmentation du temps d’écran, à la cyberdépendance, à la performance et à la santé globale (physique, mentale et sociale), notamment par l’organisation d’ateliers sur la gestion des écrans, les saines habitudes de vie et les perspectives d’emploi. Il est important que les établissements scolaires encouragent un équilibre sain entre le sport électronique et d’autres activités essentielles au bien-être des jeunes, comme l’exercice physique, les interactions sociales en personne et le repos.
Cette recommandation est excellente sur papier, mais il y a des lacunes sur le terrain. En effet, la qualité des programmes est disparate d’un établissement à l’autre à cause des ressources allouées qui varient énormément. D’un côté, il y a des programmes comme ceux de l’Académie Esports du Canada qui ont eu des centaines de milliers de dollars d’investissement à travers les années, versus des programmes qui sont uniquement soutenus à bout de bras par des professeurs passionnés, mais déjà surchargés. La bonne nouvelle est que, selon ma veille stratégique dans le domaine, la grande majorité des établissements étudiants essaient déjà, depuis plusieurs années, de suivre cette recommandation malgré leurs ressources limitées. Encore une fois, la Fédération québécoise de sports électroniques et la Fondation des Gardiens virtuels seraient de puissants alliés avec un minimum de financement.
Recommandation 35
La Commission recommande qu’avant l’implantation de tout nouveau programme de sport électronique, un établissement d’enseignement privé ou le conseil d’établissement d’une école publique informe le ministère de l’Éducation de sa décision de mettre en place ce type de programme et que celui-ci fasse l’objet d’une surveillance accrue de la part du ministère. La Commission recommande au gouvernement de mettre à la disposition des centres de services scolaires et des établissements un document d’accompagnement visant à encadrer l’implantation de programmes pédagogiques particuliers de sport électronique qui doivent être suivis par les écoles. Ce document devrait s’appuyer sur les données disponibles et favoriser une prise de décision éclairée quant aux effets possibles sur la santé, les risques associés, la réussite scolaire, la motivation et le bien-être des élèves. Par ailleurs, la Commission recommande que le ministère de l’Éducation assure un suivi accru de l’évolution des programmes de sport électronique dans le réseau scolaire afin de tenir compte du développement et du bien-être des jeunes. Les écoles doivent fournir les données nécessaires à ce sujet annuellement.
Il est difficile d’être en désaccord avec cette recommandation. Le problème est, par contre, le même qu’avec la recommandation 34 : avec quel argent et quelle expertise ceci sera mis en place? Les centres de services scolaires et les établissements n’ont pas les connaissances nécessaires ni les ressources pour créer ce type de document, et encore moins mettre en place un système d’encadrement. Je me répète, mais la Fédération québécoise de sports électroniques et la Fondation des Gardiens virtuels seraient en mesure d’aider directement l’implémentation de cette recommandation avec un minimum de financement.
Conclusion
Je lève mon chapeau à la commission pour être venu à cette conclusion : « À la lumière de ces témoignages, nous arrivons à la conclusion que les programmes scolaires de sport électronique comportent à la fois des avantages et des inconvénients pour les jeunes. Dans ce contexte, nous misons sur une approche de réduction des méfaits. Nous sommes d’avis que, pour assurer leur succès, les programmes de sport électronique offerts dans les écoles doivent être encadrés et faire l’objet d’un suivi du ministère de l’Éducation ». Elle reflète à 100% mon doctorat interdisciplinaire en santé et société à l’UQAM où le m’intéresse à l’encadrement de la pratique vidéoludique compétitive ayant pour but d’optimiser ses bienfaits, tout en y réduisant ses aspects négatifs. Maintenant, pour rester pragmatique et mettre en place facilement ses recommandations, il suffit uniquement que le gouvernement débloque des ressources financières et s’entoure de partenaires compétents (e.g. Fédération québécoise de sports électroniques et Fondation des Gardiens virtuels).
J’aimerais connaître vos avis! Publication LinkedIn : https://www.linkedin.com/posts/leoninsavard_voici-ma-courte-analyse-de-la-section-esports-activity-7343635903669563392-tuKm
Vidéo de ma participation à la commission :
Sources :
- Assemblée nationale du Québec (2025). Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes, https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/csesj-43-1/index.html
- Fédération québécoise de sports électroniques – https://www.esportsquebec.ca/
- Fondation des Gardiens virtuels – https://gardiensvirtuels.org/
- Ministère de l’Éducation (2024). Mesure 15028, https://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/loisir-sport/Mesure-15028-activites-parascolaires-secondaire.pdf
- Savard, F. (2025). Perceptions des enjeux entourant les sports électroniques, Mémoire, Université du Québec à Montréal, Maîtrise en communication, https://archipel.uqam.ca/18615/
- Université du Québec à Trois-Rivières (2025). Microprogramme de premier cycle en développement du sport électronique, https://oraprdnt.uqtr.uquebec.ca/portail/gscw031?owa_no_site=6853
- van Rooij, A. J., Ferguson, C. J., Colder Carras, M., Kardefelt-Winther, D., Shi, J., Aarseth, E., Bean, A. M., Bergmark, K. H., Brus, A., Coulson, M., Deleuze, J., Dullur, P., Dunkels, E., Edman, J., Elson, M., Etchells, P. J., Fiskaali, A., Granic, I., Jansz, J., Karlsen, F., Kaye, L. K., Kirsh, B., Lieberoth, A., Markey, P., Mills, K. L., Nielsen, R. K. L., Orben, A., Poulsen, A., Prause, N., Prax, P., Quandt, T., Schimmenti, A., Starcevic, V., Stutman, G., Turner, N. E., van Looy, J., et Przybylski, A. K. (2018). A weak scientific basis for gaming disorder: Let us err on the side of caution, Journal of Behavioral Addictions J Behav Addict, 7(1), 1-9.